
Micro Kiwi
L’année 2024 a été marquée par des conditions météorologiques exceptionnelles. Les pluies incessantes ont défié la résilience des systèmes pâturants, perturbant les pratiques d’élevage traditionnelles.
Pour mieux comprendre comment les éleveurs se sont adaptés à ces circonstances difficiles, nous avons posé la question suivante à quatre d’entre eux : «Tes adaptations face aux derniers mois exceptionnellement pluvieux ? La parole est à toi !»
Vincent Delargillière (60): Entre anticipation et adaptation
Le printemps 2024 a été, comme dans beaucoup de régions, particulièrement compliqué avec de fortes périodes de pluie qui ont rendu le pâturage délicat. J’ai brûlé un cierge de 90 kg, mais j’aurais dû passer au modèle 100 kg !
Ma priorité a été de nourrir les vaches pour assurer les départs en lactation et la saison de reproduction, tout en cherchant à préserver les prairies du piétinement et de la dégradation de la flore.
Tout est une question de compromis : sans bons chemins, impossible de pâturer correctement, et l’aménagement des parcelles est crucial, de l’entrée et la sortie à la position de l’abreuvoir.
Certaines portions de chemin ont souffert, et avec du recul, des chemins en béton, bien que coûteux, auraient été plus adaptés. Un autre facteur déterminant a été le drainage : en 2018, j’ai drainé 6 hectares, ce qui m’a permis d’utiliser ces parcelles, même dans des conditions difficiles.
Pour gérer le pâturage, je fais régulièrement le tour de mes paddocks pour évaluer visuellement leur état. Cela me permet de repérer les zones pâturables et de définir plusieurs plans en fonction de la portance, prêts à être appliqués en fonction de la météo. Je n’hésite pas à faire passer les vaches dans des parcelles compliquées lorsque quelques jours sans pluie se présentent, même si le stade de l’herbe n’est pas optimal, afin de préserver les parcelles plus portantes en cas de retour de la pluie.
J’ai souvent pratiqué le «On-Off Grazing», avec quelques heures de pâturage suivies d’un retour en bâtiment si nécessaire. Même si ce n’est pas toujours facile, j’essaie d’être proactif et de prendre des décisions réfléchies.
Le dernier point, et peut-être le plus important, est la gestion du stress et de la forte charge de travail pendant les vêlages. Avec des vêlages groupés, la gestion des veaux, les tâches administratives et le stress ajouté par la météo, il y a beaucoup à gérer, et cela peut vite devenir écrasant.
Vincent Etchebarne (64) : Réactivité face aux intempéries
Nous n’avons pas subi de pluviométrie exceptionnelle cette année. Contrairement à d’autres qui ont vu leurs animaux patauger, nous n’avons pas rencontré les mêmes soucis. Il y a eu des printemps bien plus pluvieux par le passé. Lors de ces périodes, j’ai dû garder les vaches dans le bâtiment, mais cela n’a été nécessaire qu’une seule fois cette année, après un énorme orage.
J’adapte la gestion des paddocks pour minimiser l’impact des intempéries : En temps normal, je coupe le paddock de 24 heures en deux et le donne en deux fois pour aider. Dans les cas extrêmes, il m’est arrivé de le diviser en trois parties. Je sors alors les vaches vers 11 heures, le ventre vide, sans leur donner à manger au bâtiment, et je distribue ensuite le paddock en trois fois dans la journée pour limiter le piétinement.
Je n’ai pas de chemin spécifique pour accéder aux paddocks car mes parcelles sont assez éclatées.
Les paddocks sont principalement desservis par des chemins communaux, empruntés par les voitures, ce qui facilite le déplacement des animaux par temps chaotique. De plus, je n’ai que des vieilles prairies, ce qui aide beaucoup à la portance des animaux sur le sol.
Gérard Grandin (61) : Leçons tirées d’une pluviométrie exceptionnelle
Malgré cette pluviométrie abondante, la majorité des animaux ont été hivernés dehors. Une grande partie de la ferme se trouve sur des sols superficiels de schiste
filtrants, qui ont accueilli les animaux en priorité. Ceux placés sur des parcelles plus argileuses ont dû être temporairement rentrés en janvier, car les sols n’absorbaient plus l’eau. Les vaches taries et les génisses ont été conduites en bale grazing sur des repousses âgées après foin (5-6 mois de repousse).
L’avancement du fil avant était quotidien, avec une boule de foin déroulée sur l’herbe destinée à être mangée. Il est important de dérouler le foin sur un tapis d’herbe pour éviter la gadoue qui se forme rapidement sur herbe rase. Lors des jours les plus pluvieux, le fil pouvait être avancé matin et soir pour éviter un piétinement excessif.
Les vêlages ont eu lieu dehors sans soucis particuliers, mais les complications sont survenues par la suite. En mars, nous avons regroupé deux troupeaux de 60 vaches et les chemins, bien que clos, n’étaient pas stabilisés. Les cailloux qui ressortaient ont rapidement provoqué des problèmes de pattes. Notre adaptation à court terme a été de pâturer près des bâtiments les jours les plus pluvieux et de profiter des jours plus secs pour aller plus loin. Cependant, l’impossibilité d’aménager les chemins sous la pluie a pénalisé la production en raison du nombre élevé de boiteries (4-5 cas en permanence pendant plus de 2 mois avec des blessures).
Aujourd’hui, notre priorité est de stabiliser nos chemins pour pouvoir accéder aux paddocks quelle que soit la météo.
Hicham Legrand (56) :Priorité à la résilience du troupeau et des sols
Ce fut un printemps sacrément compliqué ! Entre les trombes d’eau et les températures froides, il était évident que cette année ne serait pas la meilleure pour la production laitière. Les taries en «bale grazing» n’ont cependant pas trop endommagé les sols, car instinctivement, elles se couchaient sur les rounds de foin (pas de râteliers). J’ajustais le fil arrière selon la météo pour leur offrir plus de foin déjà consommé afin qu’elles puissent s’y reposer.
Concernant les laitières, elles recevaient 5 kg d’enrubannage par jour, l’essentiel étant de les garder pleines en permanence. Selon la météo, je leur donnais 3 à 4 repas d’herbe par jour. Lorsque les champs étaient trop humides, les vaches souillaient l’herbe en marchant, la consommant ainsi en très petite quantité. C’est un vrai défi lorsque le pâturage constitue la base de la ration. N’ayant pas de bâtiment, je ne pouvais pas pratiquer la technique du “On/Off Grazing” qui consiste à laisser les vaches pâturer pendant 1-2 heures avant de les rentrer. D’où l’importance de multiplier les repas, d’avoir une entrée et une sortie par paddock, ainsi que des vaches de petit gabarit.
Le maintien de l’état corporel des vaches est primordial, car après le vêlage vient la période de reproduction. Malgré une pousse en dents de scie, la météo pluvieuse a permis de produire plus de lait en début d’été que l’année dernière. Toutefois, les conditions printanières n’ont pas permis de réaliser un sursemis. Je prévois donc de l’effectuer à l’automne, lors du dernier tour de pâturage, en utilisant du RGA tétraploïde et du RGH typé anglais.
Le choix des paddocks pour le «bale grazing» cet hiver se fera principalement en fonction de l’état des flores et du sol. Les parcelles trop endommagées seront replantées en chicorée l’année prochaine, tandis que le «bale grazing» permettra de réensemencer les autres. Malgré la pluie, les vêlages se sont bien déroulés, les mères prenant bien soin de leurs veaux. À 95 %, les vêlages se sont faits sur les rounds de foin, ce qui m’a évité de devoir ramasser les veaux plusieurs fois par jour.
Un printemps comme celui-ci n’a pas pour priorité la production, mais bien tout le reste : le sol, les vaches et l’HUMAIN !